MAXIMILIEN VOX ( Lurs en Provence Août 1964 )

La révélation du Rendez-vous de l’Ecole de Lure 1964, pour les compagnons de tous pays, ce fut, sur nos vieilles murailles, l’éclatement de graphismes aériens qui ne devaient plus rien au matériau : diaphanes, translucides, impondérables. Et cependant d’une rigueur mathématique, précis comme des luminogrammes (et pour cause), écrits comme des calligraphies, souples et suaves comme le pinceau d’Outamaro.

 

Car Rodolphe Proverbio n’est pas seulement l’inventeur du seul outil graphique dans la ligne de notre temps, mais aussi un peintre-graveur étonnamment doué pour cette magique escrime contre l’invisible qu’il lance comme un défi. « La plus passionnante aventure, dit-il, pour tenter de délivrer son esprit de toute attache matérielle…. Sachant qu’il ne restera aucune empreinte de ce que la main a tracé ni aucun moyen de le modifier… l’esprit doit visualiser parfaitement. Une gymnastique de l’épuration. »

 

Ascèse de la vitesse à laquelle bien peu de nos laborieux ou négligents contemporains aspireraient, je donne Rodolphe Proverbio, dont le nom romantique eût enchanté Musset, comme l’un des gagnants dans cette course contre la lumière qui annonce l’an 2000.

 

Maximilien Vox sur Wikipédia

 

MICHEL NURIDSANY      ( Figaro du 29 Mai 1972 )

L’extraordinaire succès que connaissent de plus en plus les expositions de photographies a eu pour conséquence de bouleverser la tranquillité des uns et de permettre aux vrais créateurs d’approfondir des domaines négligés, de partir à l’aventure, d’explorer, au-delà de la photographie qu’on expose, quelques-unes des applications de cet art, très jeune encore.

 

Rodolphe Proverbio, qui est un audacieux tranquille, démontre dans l’exposition que lui consacre Alpha International, Place des Victoires, que la décoration est un domaine où la photo a son mot à dire. Ne serait-ce que pour effacer le souvenir des affreux panneaux que l’on connait, représentant la mer ou des sous-bois.

 

Deux techniques particulières sont utilisées dans cette remarquable exposition. L’une a été mise au point par Proverbio en 1963 : elle consiste à dessiner dans le noir à l’aide d’une série d’appareils qui sont utilisés comme des pinceaux lumineux. Cette technique nécessite de la précision, un esprit vif. Elle ne tolère pas le repentir. Un peu comme le calligraphie.

 

Proverbio insiste beaucoup sur le coté physique de cette technique. Il s’agit en quelque sorte d’une gymnastique accomplie par tout le corps. La notion de la succession des images est également très importante dit-il, puisque par sa rapidité, elle permet de les enregistrer au fur et à mesure qu’elles se forment dans l’esprit.

 

La seconde technique est à la fois plus immédiatement séduisante et plus facile. Les images obtenues sont des photographies d’éléments géométriques simples déformés par un phénomène fluidique.

 

Cette dernière technique est celle qui donne les meilleurs résultats. Les photographies réalisées de cette manière sont tout à fait étonnantes et très belles. Ce sont celles qui sont les plus entièrement satisfaisantes sur le plan esthétique. Cela dit, il semble que l’autre soit plus riche de possibilités.

 

De toutes manières, Proverbio est loin d’être guetté par la sclérose. Il propose. Il cherche. Sur son chemin, il trouve de jolies choses. Il rencontre des bifurcations, des impasses aussi et des ramifications.

 

Mais surtout, Proverbio est quelqu’un d’ouvert et d’intelligent. Il sait que la photographie telle qu’il la propose, destinée à la décoration, ne saurait être créée in abstracto, qu’elle dépend de l’architecture. Son exposition est moins un bilan qu’une série de propositions. Maintenant Proverbio va rencontrer des architectes, des urbanistes, des décorateurs, discuter, chercher encore.

 

Son exposition est des plus tonifiantes : elle ouvre une voie nouvelle à la photographie.

 

Michel Nuridsany sur Wikipédia

 

MARIA WETTERGREN Galerie (Paris Octobre 2010 )

La Galerie Maria Wettergren a été inaugurée le 8 septembre 2010. Pour le deuxième accrochage présenté en ce lieu, je suis très fière d’accueillir l’exposition Rodolphe Proverbio, Œuvres photographiques 1963-1967.

 

Huit semaines après l’ouverture d’une galerie de design contemporain, mettre en avant des œuvres photographiques peut paraitre surprenant. Il s’agit simplement de l’heureuse conclusion d’une enquête, qui m’a donné la force de monter une galerie.

 

Le récit commence en 2005 : je fais l’acquisition chez un marchand de photographies parisien, de cinq photographies non identifiées. Celui-ci les a trouvées à Lyon par l’intermédiaire d’un confrère, sans disposer d’une quelconque trace de leur provenance.

 

Représentant des motifs abstraits complexes, d’une grande maîtrise artistique et technique, ces cinq épreuves gélatino-argentiques dont les formats peuvent atteindre jusqu’à 102X104 cms se situent aux frontières de l’Op art et de l’art cinétique.

 

Intriguée par leur originalité et leur beauté étrange – elles reflètent une poésie et une architectonique singulières – et curieuse du mode de production utilisé par l’artiste, je me lançais à la recherche de l’auteur. Pour tout indice, sa signature calligraphiée, peu lisible.

 

Les recherches bibliographiques en librairies spécialisées ou sur internet ne donnèrent guère de résultats. Ce fut seulement en 2008, lorsque la restauratrice de photographies Véronique Landy nettoya les œuvres, qu’une lueur commença à apparaître. Elle évoqua la possibilité qu’il s’agisse de photogrammes, c'est-à-dire de photographies faites sans appareil, issues d’une manipulation directe d’objets devant un papier photosensible, suivant le procédé rendu célèbre par Man Ray. Elle alerta Quentin Bajac , conservateur du département de la photographie au Centre Pompidou, sur leur existence. Il m’encouragea à poursuivre ma recherche et m’indiqua une piste intéressante : celle de l’abstraction française d’après-guerre, qui était, à l’époque, représentée par des groupes comme Libre Expression ou Espace.

 

Ce fut la veuve d’un des membres de cette mouvance, Etienne-Bertrand Weill, qui me donna le nom de Rodolphe Proverbio : « Au vu des photographies que ma fille m’a transmises, j’ai immédiatement pensé à Proverbio….il était venu montrer à Etienne ses essais abstraits, probablement dans les années soixante, après quoi nous avons perdu tout contact. Il était peut-être un descendant de la maison Proverbio, fabrique de soieries, qui existe encore dans la région lyonnaise ». Le cercle se refermait : les œuvres avaient été trouvées à Lyon ; il ne me restait plus, clôture banale d’une piste suivie durant trois ans, qu’a chercher un nom dans l’annuaire.

 

L’approche se fit par fax et, pour l’anecdote poétique, le jour où je lui envoyais ma « bouteille à la mer », Rodolphe Proverbio, dans sa région de Provence, emmenait des enfants traverser la « Roche Pertuse » une roche percée réputée magique. Le soir en rentrant chez lui, il allait découvrir mon message : « Cher monsieur, êtes vous l’auteur de ces magnifiques photos ? »

 

La rencontre de l’homme d’une part et de son œuvre d’autre part, fut pour moi une merveilleuse expérience. Elle ne m’a pas seulement permis de faire la connaissance d’un homme d’une grande finesse intellectuelle, un vrai créateur au sens propre du terme, si rare en l’occurrence, à la fois humble et avide de curiosité pour l’art et la vie. Cette rencontre m’a également rappelé qu’il n’est jamais trop tard pour découvrir l’œuvre d’un grand artiste et qu’il n’est, surtout, jamais trop tôt pour la montrer.

 

Une sélection de photogrammes uniques d’époque et de tirages modernes sera présentée à la Galerie. Ils datent des années 1963 à 1967. Il S’agit de la première exposition du travail photographique de Rodolphe Proverbio, depuis l’exposition de 1972 à la galerie parisienne Alpha International.

 

Cette exposition me permet également d’instaurer in situ un dialogue entre une forme qualifiée trop rapidement de photographie subjective et des pièces du design danois contemporain.

 

Cette confrontation révèle selon moi un certain nombre d’invariants constitutifs d’une tradition esthétique :

 

- une attitude d’ouverture envers les nouvelles technologies et les procédés inédits.

 

- une recherche incessante d’expérimentation, qui contraste avec la volonté de se narrer ou de documenter un contexte social.

 

- un esprit de rupture quant aux conventions et aux vocabulaires des générations antérieures.

 

- une épure des formes.

 

 

 

Né en 1938 à Lyon, Rodolphe Proverbio est le fils d’un créateur de tissus de soierie. En 1963, il décide de quitter l’entreprise familiale pour se lancer à fond (selon son expression) dans des recherches photographiques autour de la technique du photogramme.

 

Il manipule des objets et différentes sources lumineuses en chambre noire, devant un papier de grand format ou devant un appareil ouvert en pose, et à l’aide de superpositions et de solarisations il obtient des images abstraites et insolites, dont le tracé calligraphié révèle une dimension cosmique.

 

Les outils générateurs, que Proverbio a bricolés lui-même, sont des boites de tailles diverses contenant une source lumineuse. C’est à l’aide d’un système de caches, par de petits trous ou de minces entailles, qu’elles laissent sortir les rayons lumineux. Le dessin s’effectue dans l’obscurité, sous la lumière inactinique rouge.

 

Héritier de Moholy-Nagy, le médium de Proverbio est la lumière. Seulement, porté par le désir d’un maximum de pureté dans le tracé, il insiste davantage sur le mouvement, et par conséquent sur le temps.

 

Ce procédé implique une gestuelle qui engage tout le corps, comme une danse. L’approche s’apparente peut-être à ce qu’on pourrait appeler « Action Photo ». A ce titre, les photographies de Proverbio sont profondément novatrices. Avec la distance, son œuvre peut apparaître comme une synthèse du « Zeitgeist », qui se développa à Paris lors des années 1955-1965. Y coexistent l’abstraction géométrique, le geste non figuratif, l’art optique et l’art cinétique.

 

A partir de 1967, Rodolphe Proverbio parachève ces recherches par une autre série de travaux, portant sur ce qu’il appelle l’Esthétique de l’Eau : des photographies d’élément géométriques simples sont prises à travers l’eau. Proverbio trouve dans ces déformations une mine inépuisable de formes organiques, vues de manière subreptice dans les reflets du courant. Selon l’artiste, » c’est la phase où les formes sont en gestation dans l’eau, encore imprécises, mais chargées de toute l’énergie qui va les faire éclore. A la phase suivante, elles vont se matérialiser et prendre une identité. Là, on est au cœur de la matière. »

 

 

 

La seconde période de son œuvre, l’ Esthétique de l’Eau, fera l’objet d’une prochaine exposition à la Galerie.

 

Site galerie Maria Wettergren